L’ âme et le corps

(se connaître sur le net)


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Text italien de Giancarlo Livraghi gian@gandalf.it – Février 1997

Traduit en français par Alessia Ambrosini et Sabine Centi – Novembre 1999

 
 
 
 

Ces dernières années, j’ai connu plus de gens sur le net que de n’importe quelle autre façon. Certaines de ces rencontres sont devenues de vraies amitiés. Pas toutes directement. Au travers du net, j’ai connu des personnes; par celle-ci, j’en ai ensuite rencontré d’autres... mais c’est le net qui est à l’origine. Parfois ces personnes vivent très loin de moi (pour nous rencontrer, il nous foudrait un voyage); parfois elles sont près de moi, mais sans le net on ne se serait jamais aperçu l’un de l’autre. Il nous arrive, de temps en temps, de parler ensemble de cette façon de se connaître. Et le sujet est fascinant, pour plusieurs aspects.

On rencontre une personne qu’on ne peut ni voir ni toucher. Avant de la voir, on connaît ses pensées, son caractère et sa personnalité. Un rapport, un intérêt réciproque, un échange d’opinion et d’émotions naissent; le désire de se rencontrer se fait de plus en plus grand; et un jour, finalement, on se voit. La question rituelle est: «Est-ce que je suis si différent de comment tu m’avais imaginé?»

En bref, on se connait de façon inverse à celle habituelle: d’abord l’âme et puis le corps. Il n’est pas vrai que si on se voit avant, et puis qu’on se parle, on se connaît mieux. Souvent la rencontre physique est déviante; elle cache ou rallentit la connaissance avec l’âme et l’esprit. Il y a des gens qui se fréquentent depuis vingt ans, peut-être dorment-ils dans le même lit, mais ils ne se connaissent pas vraiment. «Ma femme (mon mari) ne me comprend pas», excuse classique des infidèles, ce n’est pas seulement un mensonge. Le rapprochement physique n’est pas nécessairement dialogue et compréhension; mais il peut même devenir un obstacle.

Des choses curieuses et intéressantes arrivent sur le net . Il y a des personnes qui, dans leurs messages, m’ont parlé d’elles-même avec grande sincérité, partageant leurs émotions, confessant leurs doutes et leurs sentiments – doutes et sentiments qu’elles hésiteraient probablement à me dire si nous étions “physiquement” dans la même pièce. Souvent l’absence du corps n’éloigne pas, mais elle raproche; comme si se dépouiller des défenses dans un monde de mots, apparemment abstrait, était moins embarrassant, moins risqué que quand on se regarde dans les yeux. Il y a un certain type de magie dans cette rencontre d’âmes libres, qui seulement plus tard s’incarnent. Quand nous rencontrons la personne physiquement, nous en avons déjà une image intérieure; notre façon de la percevoir est différente, parce que quand nous regardons le “dehors”, nous savons déjà ce qui est à l’“intérieur”.

Je ne veux pas dire que la rencontre, d’abord sur le net et puis physiquement, soit toujours mieux que le contraire. Parfois c’est une expérience meilleure et plus riche, parfois pas. Mais ce n’est pas une façon plus faible ou “artificielle” de se rencontrer, comme les personnes qui n’ont jamais été sur le net peuvent imaginer. Sans doute, c’est une expérience nouvelle et intéressante. Il est extraordinaire de découvrir comment une personne peut se révéler par sa façon de s’exprimer, de réagir, de dialoguer ou de rester en silence. Il est fascinant de découvrir le caractère, le style, la personnalité de quelqu’un que nous n’avons jamais vu; et, ensuite, de vérifier, quand on se rencontre, à quel point notre image correspondait à la réalité. D’habitude on ne se trompe pas. Parfois, l’aspect physique peut nous surprendre, mais presque toujours le caractère et la personnalité sont exactement comme nous l’avions perçu.

Ceci pourrait être un bon remède à une certaine tendance qui donne trop d’importance aux apparences. Aujourd’hui, on vit dans une culture des images: d’un côté à cause de l’emphase qu’ on donne à l’aspect extérieur, de l’autre à cause de la télévision; on risque souvent de penser qu’une personne soit “ce qu’elle semble”; que l’apparence physique, même la façon de s’habiller, soient l’identité.

Peut-être un jour le net perdra-t-il sa magie. Avec une largeur de bande beaucoup plus grande que celle que l’on a aujourd’hui, peut-être se recontrera-t-on sur l’écran; de nouveau l’aspect régnera, et d’une forme encore plus perverse, parce qu’ une image projetée est souvent plus construite que le contact physique direct. Mais jusqu’à ce qu’ on continue à “se rencontrer” par des mots et pensées, nous aurons le privilège de connaitre d’abord l’âme et puis le corps. Et ensuite – quand on se sera rencontré – selon les cas on pourra choisir que se dire directement ou par téléphone, et que s’écrire.

Ceci n’est pas une chose totalement nouvelle. L’histoire est pleine d’amis et d’amants qui s’envoyaient des lettres et des messages, même s’ils se fréquentaient souvent. Combien de fois deux amoureux sentent le besoin de s’échanger de petits billets doux, bien qu’ils se voient chaque jour?

Mais l’art de l’écriture était en train de disparaître, dans un monde de téléphones. Avec le net nous l’avons redécouvert. Souvent, on écrit des choses simples, même stupides; on plaisante ou on ne parle de rien en particulier. Qu’est-ce qu’il y a de mal à cela? C’est une façon pour unir nos âmes, pour partager nos pensées, ce qui a une valeur en soi, sans considération des contenus.

Probablement la raison la plus importante, pour laquelle j’aime être sur le net, est celle-la: il me permet d’être “plus humain”.


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“L’âme et le corps” est l’article le plus réussi de cette série.
Il m’a apporté un bon nombre de courrier; il a été (et est toujours) discuté dans plusieurs mailing-lists et newsgroups, en Italie et ailleurs. Cet article continue à circuler sur l’internet, après douze ans que je l’ai écrit. Il me semble que beaucoup de personnes perçoivent de cette manière l’expérience sur le net. Je l’ai écrit initialement en italien, mais peut être a-t-il traduit en plusieurs langues, en plus qu’en allemand, anglais, espagnol, français, polonais, portugais, roumain, russe et tchèque.

May 2009
 

   
 

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