Beaucoup des maladies actuelles remontent à
lorigine de notre espèce. Il est aisé
dimaginer un peintre préhistorique, qui aurait
trouvé un moyen rapide et facile de dessiner un bison,
couvrant les murs dune grotte de scènes
coloriées de chasse, sans sinterroger sur sa
capacité à nourrir sa famille ou sa tribu.
Le syndrome de powerpoint est une maladie
bien connue, clairement diagnostiquée, non seulement
par de brillants caricaturistes comme Scott Adams, mais aussi
dans diverses analyses de lefficacité et de la
communication des entreprises.
Cette maladie est appelée outre-atlantique
disinfotainment, que lon peut traduire par
désinformation ludique. Il a
été prouvé quelle peut
sérieusement perturber la communication dentreprise.
Certaines firmes, dont Sun, lont même bannie de leur
organisation.
Le magazine Wired de septembre 2003 contenait un article
de Edward R.Tufte, professeur émérite de Yale, intitulé
Le pouvoir
corrompt, powerpoint corrompt absolument. (Sa monographie,
The Cognitive Style of PowerPoint, est disponible chez
Graphics Press).
Voici quelques extraits de cette intéressante
réflexion :
Imaginez une publicité largement diffusée
recommandant lusage dun médicament onéreux
qui rendrait beau, mais qui serait inefficace. Au lieu de
cela, le médicament aurait de fréquents et
sérieux effets secondaires : abrutissement,
neurasthénie, aboulie, difficultés
dexpression. Ces effets secondaires conduiraient à
juste titre à un retrait mondial du produit.
Pourtant, les logiciels de présentation sont
partout présents : dans les entreprises
américaines, les administrations et même dans
les écoles. Plusieurs centaines de millions de copies
du logiciel de Microsoft PowerPoint projettent des milliards
de transparents chaque année. Ces
logiciels peuvent aider les conférenciers à
étayer leurs messages. Mais cette commodité
peut entraîner un affaiblissement du propos ainsi que
de lattention des auditeurs. La présentation type
faisant appel à ces logiciels privilégie la
forme au détriment du contenu, trahissant une attitude
de vendeur de soupe qui transforme tout en
baratin commercial.
Pour une grande part, ces présentations
pêchent par la qualité, la pertinence et
lhonnêteté du contenu. Si vos résultats
vous gênent, alors vous présentez des
résultats erronés. Si vos textes ou vos images
ne sont pas au point, faisant sautiller les couleurs, ils ne
perdront pas pour autant de leur pertinence. Lennui du
public vient généralement dun contenu
défaillant non dune mauvaise présentation
Une présentation a-minima nest pas dommageable
alors que powerpoint fréquemment hache, domine et
banalise le discours.
Les conclusions pratiques sont claires. Powerpoint est un
bon outil de gestion de projection de
transparents mais plutôt que denrichir un
exposé, il en arrive à sy substituer. Ce
mauvais usage ignore la règle majeure: le respect de
lassistance.
(A lire aussi un article en le New York Times Magazine du 14
décembre 2003:
PowerPoint
Makes You Dumb: powerpoint vous rend idiot).
Bien évidemment, les outils de présentation
existaient déjà, longtemps avant lapparition
de linformatique; il sagissait des tableaux (noirs ou
papier) des rétroprojecteurs de transparents etc...
Quelques-uns unes des plus belles peintures et sculptures du
patrimoine de lhumanité étaient
utilisées pour présenter ou illustrer une
idée, une ligne de pensée, une attitude, un
projet ou un plan daction. Mais la plupart des
présentations powerpoint ne peuvent se
prévaloir du titre doeuvre dart, ni même
dexemple de présentation efficace.
Les aides visuelles peuvent être utilisées
efficacement, pour attirer lattention sur des
points-clés, pour mettre en valeur une information
importante, pour rendre les choses claires. Mais il est
hélas si facile de faire le contraire, dembrouiller,
de rendre confus ou de pervertir délibérément
les faits, les enjeux et les concepts.
Nous savons que les données, les bilans, les
statistiques, les tendances, les projections et
prévisions peuvent être manipulées de
différentes manières. Il y a cinquante ans,
ceci était clairement expliqué dans un
merveilleux petit livre de Darrel Huff : How to Lie with
Statistics (comment mentir avec les statistiques); sorti en
1954, il est encore édité et se
révèle toujours aussi pertinent.
Darrel Huff explique comment les données
peuvent être mal utilisées ou
représentées, par erreur ou par manipulation
délibérée. Il montre aussi comment elles
peuvent en outre être perverties dans une
présentation visuelle. Par exemple des données
chiffrées peuvent être montrées en deux
dimensions plutôt quen lignes, colonnes ou barres. La
hauteur du schéma indique la valeur exacte mais la
perception des écarts est double.
En utilisant des images, leffet est encore plus fort, la
perception est tridimensionnelle. Si nous utilisons limage
dun animal pour montrer lévolution dune
espèce ou une vache pour représenter la
production de lait, nous pouvons faire croire à un
doublement quand laugmentation nest que de 30 %. Et
au-delà, des erreurs de perception peuvent être
ajoutées en utilisant le mouvement.
Cela peut-il être fait avec les valeurs? Oui, bien sûr!
Au lieu dutiliser des courbes ou des graphiques à barres,
on peut utiliser des billets de banque, des pièces de monnaie ou
des porte-monnaie. Cela sappelle la dramatisation
mais est en réalité tromperie, comme lexpliquait
Darrel Huff il y a cinquante ans, lorsquil ny avait pas
linformatique pour faciliter la chose.
Les moyens visuels par eux-mêmes ne sont pas en
cause, ce sont des outils et le résultat dépend
de la façon dont ils sont utilisés. Un
exposé bien préparé peut être
certifié honnête, mais sil est
délibérément truqué, il peut
être un moyen de tromperie ou, sil nest pas
soigneusement préparé et testé, ses
effets peuvent être tout autres que ceux attendus par
le présentateur.
Les outils et les styles standardisés peuvent
rendre les choses encore pires. Les présentations qui
suivent une démarche prédéfinie lassent
lassistance par lemploi répété
des mêmes procédés au lieu déveiller
son intérêt et susciter ses questions.
Un exposé efficace nécessite un travail
sérieux, attention et compétence. Il demande
à être essayé et testé, afin de
trouver la forme la plus efficace en rapport avec le contenu,
la cohérence étroite entre les supports
visuels, le propos et le but recherché.
Même lorsque les moyens techniques étaient
moins aisés à mettre en oeuvre et plus
onéreux que ceux daujourdhui (temps de
réalisation, soin à y apporter, qualification,
mais aussi coût apparent), il y avait des erreurs et
des mésaventures aussi bien que des tricheries. Mais
cela narrivait pas aussi souvent que de nos jours parce que
davantage defforts et de compétence technique
étaient nécessaires. Les choses ont
empiré à cause de livresse provoquée
par powerpoint.
Cela semble si facile. Une présentation
sophistiquée peut-être mise sur pied en quelques
heures. Labondance de gadgets et doutils entraîne
lexagération. Le résultat est souvent
déprimant.
Les possibilités offertes par les outils standards
de projection sont limitées, aussi les
présentations ont-elles un air de déjà
vu bien quelles traitent de sujets totalement
différents. Cela conduit à la confusion et
à lennui. Nous voyons souvent un présentateur
emprisonné dans un schéma
prédéterminé, incapable de
répondre à une question simple parce quil est
entraîné à répéter, sans
compréhension approfondie, un exposé
préparé par quelquun dautre. Même quand
les personnes préparent elles-mêmes leurs
présentations, elles se perdent souvent dans les
mécanismes de formatage décrans et manquent la
cible quelles étaient sensées viser.
Une autre conséquence ridicule est que, au terme
dun meeting ou dun séminaire, au lieu dun document
rédigé, les participants reçoivent une
copie des écrans de la présentation. Il est
évident que ces images décrans
préparés pour appuyer lexposé ne sont
pas le support approprié à la lecture et
manquent cruellement dinformation et dexplications. Mais la
hâte, lhabitude, et la soumission
irréfléchie à la technique conduisent
à la production de documents sans intérêt
qui brouillent le message (même lorsque leur
caractère décevant nest pas voulu).
Il y a aussi des résultats désastreux dus
à la « personnalisation ». Il est
facile avec un traitement de texte de changer un nom, trop
facile. Un document (ou une présentation) qui montre
à la page 1 le nom dune personne ou dune
société du monde de lédition
révèle à la page 12 quil a
été écrit à lorigine pour un
vendeur de voitures. Les choses empirent avec la
télécommunication. Il est déjà
assez agaçant de recevoir un fichier powerpoint joint,
de 3 mégaoctets pour nous apprendre ce qui pourrait
être dit en six lignes de texte, mais il y a aussi des
sites web qui contiennent des informations inadaptées
manifestement extraites des textes traitant dun tout autre
sujet. Sans compter la bien connue et très
répandue maladie qui voit les artifices de
présentation prendre le pas sur le contenu.
Après de nombreuses années de
sérieuse discussion sur la pratique et le contenu du
management, les meilleurs concepteurs de sites web savent que
la substance importe davantage que lapparence. (Voir
The architect and the gardener:
Larchitecte et le jardinier). Mais beaucoup de propriétaires
de sites veulent des choses faites à moindre coût, parce
quils ne comprennent pas que linternet nest pas la
télévision ou parce quils sont infectés
par le virus du powerpoint, ou bien encore parce quils ne
veulent pas confier à leur personnel la production
dun contenu signifiant. Aussi sommes-nous harcelés
par une prolifération de « boîtes
vides » à lapparence brillante mais sans
contenu.
Le syndrome powerpoint nest pas seulement le mauvais
usage dune technologie spécifique, cest un
défaut culturel. Labondance de moyens pour
réaliser des écrans et les présenter
dune manière chatoyante conduit à
lexagération et à la superficialité.
Lorsque la forme prend le pas sur le fond, il est plus facile
de dissimuler tromperies et tricheries. Nous devons apprendre
à maîtriser la prolifération des outils
pour les mettre au service de notre propos, du moins chaque
fois que quelque chose mérite dêtre dit.