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La maladie du powerpoint

Par Giancarlo Livraghi  gandalf.it

Mars 2004

Traduit en français par Yann Gourvennec  visionarymarketing.com



 
 

Beaucoup des maladies actuelles remontent à l’origine de notre espèce. Il est aisé d’imaginer un peintre préhistorique, qui aurait trouvé un moyen rapide et facile de dessiner un bison, couvrant les murs d’une grotte de scènes coloriées de chasse, sans s’interroger sur sa capacité à nourrir sa famille ou sa tribu.

Le “syndrome de powerpoint” est une maladie bien connue, clairement diagnostiquée, non seulement par de brillants caricaturistes comme Scott Adams, mais aussi dans diverses analyses de l’efficacité et de la communication des entreprises.

Cette maladie est appelée outre-atlantique disinfotainment, que l’on peut traduire par “désinformation ludique”. Il a été prouvé qu’elle peut sérieusement perturber la communication d’entreprise. Certaines firmes, dont Sun, l’ont même bannie de leur organisation.

Le magazine Wired de septembre 2003 contenait un article de Edward R.Tufte, professeur émérite de Yale, intitulé Le pouvoir corrompt, powerpoint corrompt absolument. (Sa monographie, The Cognitive Style of PowerPoint, est disponible chez Graphics Press).

Voici quelques extraits de cette intéressante réflexion :


Imaginez une publicité largement diffusée recommandant l’usage d’un médicament onéreux qui rendrait beau, mais qui serait inefficace. Au lieu de cela, le médicament aurait de fréquents et sérieux effets secondaires : abrutissement, neurasthénie, aboulie, difficultés d’expression. Ces effets secondaires conduiraient à juste titre à un retrait mondial du produit.

Pourtant, les logiciels de présentation sont partout présents : dans les entreprises américaines, les administrations et même dans les écoles. Plusieurs centaines de millions de copies du logiciel de Microsoft PowerPoint projettent des milliards de “transparents” chaque année. Ces logiciels peuvent aider les conférenciers à étayer leurs messages. Mais cette commodité peut entraîner un affaiblissement du propos ainsi que de l’attention des auditeurs. La présentation type faisant appel à ces logiciels privilégie la forme au détriment du contenu, trahissant une attitude de vendeur de soupe qui transforme tout en “baratin” commercial.

Pour une grande part, ces présentations pêchent par la qualité, la pertinence et l’honnêteté du contenu. Si vos résultats vous gênent, alors vous présentez des résultats erronés. Si vos textes ou vos images ne sont pas au point, faisant sautiller les couleurs, ils ne perdront pas pour autant de leur pertinence. L’ennui du public vient généralement d’un contenu défaillant non d’une mauvaise présentation

Une présentation a-minima n’est pas dommageable alors que powerpoint fréquemment hache, domine et banalise le discours.

Les conclusions pratiques sont claires. Powerpoint est un bon outil de gestion de projection de “transparents” mais plutôt que d’enrichir un exposé, il en arrive à s’y substituer. Ce mauvais usage ignore la règle majeure: le respect de l’assistance.

(A lire aussi un article en le New York Times Magazine du 14 décembre 2003: PowerPoint Makes You Dumb: “powerpoint vous rend idiot”).


Bien évidemment, les outils de présentation existaient déjà, longtemps avant l’apparition de l’informatique; il s’agissait des tableaux (noirs ou papier) des rétroprojecteurs de transparents etc... Quelques-uns unes des plus belles peintures et sculptures du patrimoine de l’humanité étaient utilisées pour présenter ou illustrer une idée, une ligne de pensée, une attitude, un projet ou un plan d’action. Mais la plupart des présentations powerpoint ne peuvent se prévaloir du titre d’oeuvre d’art, ni même d’exemple de présentation efficace.

Les aides visuelles peuvent être utilisées efficacement, pour attirer l’attention sur des points-clés, pour mettre en valeur une information importante, pour rendre les choses claires. Mais il est hélas si facile de faire le contraire, d’embrouiller, de rendre confus ou de pervertir délibérément les faits, les enjeux et les concepts.

Nous savons que les données, les bilans, les statistiques, les tendances, les projections et prévisions peuvent être manipulées de différentes manières. Il y a cinquante ans, ceci était clairement expliqué dans un merveilleux petit livre de Darrel Huff : How to Lie with Statistics (comment mentir avec les statistiques); sorti en 1954, il est encore édité et se révèle toujours aussi pertinent.

Darrel Huff  explique comment les données peuvent être mal utilisées ou représentées, par erreur ou par manipulation délibérée. Il montre aussi comment elles peuvent en outre être perverties dans une présentation visuelle. Par exemple des données chiffrées peuvent être montrées en deux dimensions plutôt qu’en lignes, colonnes ou barres. La hauteur du schéma indique la valeur exacte mais la perception des écarts est double.

En utilisant des images, l’effet est encore plus fort, la perception est tridimensionnelle. Si nous utilisons l’image d’un animal pour montrer l’évolution d’une espèce ou une vache pour représenter la production de lait, nous pouvons faire croire à un doublement quand l’augmentation n’est que de 30 %. Et au-delà, des erreurs de perception peuvent être ajoutées en utilisant le mouvement.

Cela peut-il être fait avec les valeurs? Oui, bien sûr! Au lieu d’utiliser des courbes ou des graphiques à barres, on peut utiliser des billets de banque, des pièces de monnaie ou des porte-monnaie. Cela s’appelle la “dramatisation” mais est en réalité tromperie, comme l’expliquait Darrel Huff il y a cinquante ans, lorsqu’il n’y avait pas l’informatique pour faciliter la chose.

Les moyens visuels par eux-mêmes ne sont pas en cause, ce sont des outils et le résultat dépend de la façon dont ils sont utilisés. Un exposé bien préparé peut être certifié honnête, mais s’il est délibérément truqué, il peut être un moyen de tromperie ou, s’il n’est pas soigneusement préparé et testé, ses effets peuvent être tout autres que ceux attendus par le présentateur.

Les outils et les styles standardisés peuvent rendre les choses encore pires. Les présentations qui suivent une démarche prédéfinie lassent l’assistance par l’emploi répété des mêmes procédés au lieu d’éveiller son intérêt et susciter ses questions.

Un exposé efficace nécessite un travail sérieux, attention et compétence. Il demande à être essayé et testé, afin de trouver la forme la plus efficace en rapport avec le contenu, la cohérence étroite entre les supports visuels, le propos et le but recherché.

Même lorsque les moyens techniques étaient moins aisés à mettre en oeuvre et plus onéreux que ceux d’aujourd’hui (temps de réalisation, soin à y apporter, qualification, mais aussi coût apparent), il y avait des erreurs et des mésaventures aussi bien que des tricheries. Mais cela n’arrivait pas aussi souvent que de nos jours parce que davantage d’efforts et de compétence technique étaient nécessaires. Les choses ont empiré à cause de l’ivresse provoquée par powerpoint.

Cela semble si facile. Une présentation sophistiquée peut-être mise sur pied en quelques heures. L’abondance de gadgets et d’outils entraîne l’exagération. Le résultat est souvent déprimant.

Les possibilités offertes par les outils standards de projection sont limitées, aussi les présentations ont-elles un air de déjà vu bien qu’elles traitent de sujets totalement différents. Cela conduit à la confusion et à l’ennui. Nous voyons souvent un présentateur emprisonné dans un schéma prédéterminé, incapable de répondre à une question simple parce qu’il est entraîné à répéter, sans compréhension approfondie, un exposé préparé par quelqu’un d’autre. Même quand les personnes préparent elles-mêmes leurs présentations, elles se perdent souvent dans les mécanismes de formatage d’écrans et manquent la cible qu’elles étaient sensées viser.

Une autre conséquence ridicule est que, au terme d’un meeting ou d’un séminaire, au lieu d’un document rédigé, les participants reçoivent une copie des écrans de la présentation. Il est évident que ces images d’écrans préparés pour appuyer l’exposé ne sont pas le support approprié à la lecture et manquent cruellement d’information et d’explications. Mais la hâte, l’habitude, et la soumission irréfléchie à la technique conduisent à la production de documents sans intérêt qui brouillent le message (même lorsque leur caractère décevant n’est pas voulu).

Il y a aussi des résultats désastreux dus à la « personnalisation ». Il est facile avec un traitement de texte de changer un nom, trop facile. Un document (ou une présentation) qui montre à la page 1 le nom d’une personne ou d’une société du monde de l’édition révèle à la page 12 qu’il a été écrit à l’origine pour un vendeur de voitures. Les choses empirent avec la télécommunication. Il est déjà assez agaçant de recevoir un fichier powerpoint joint, de 3 mégaoctets pour nous apprendre ce qui pourrait être dit en six lignes de texte, mais il y a aussi des sites web qui contiennent des informations inadaptées manifestement extraites des textes traitant d’un tout autre sujet. Sans compter la bien connue et très répandue maladie qui voit les artifices de présentation prendre le pas sur le contenu.

Après de nombreuses années de sérieuse discussion sur la pratique et le contenu du management, les meilleurs concepteurs de sites web savent que la substance importe davantage que l’apparence. (Voir The architect and the gardener: L’architecte et le jardinier). Mais beaucoup de propriétaires de sites veulent des choses faites à moindre coût, parce qu’ils ne comprennent pas que l’internet n’est pas la télévision ou parce qu’ils sont infectés par le virus du powerpoint, ou bien encore parce qu’ils ne veulent pas confier à leur personnel la production d’un contenu signifiant. Aussi sommes-nous harcelés par une prolifération de « boîtes vides » à l’apparence brillante mais sans contenu.

Le syndrome powerpoint n’est pas seulement le mauvais usage d’une technologie spécifique, c’est un défaut culturel. L’abondance de moyens pour réaliser des écrans et les présenter d’une manière chatoyante conduit à l’exagération et à la superficialité. Lorsque la forme prend le pas sur le fond, il est plus facile de dissimuler tromperies et tricheries. Nous devons apprendre à maîtriser la prolifération des outils pour les mettre au service de notre propos, du moins chaque fois que quelque chose mérite d’être dit.




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